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Marc Roux : “Vous pouvez trouver des interprétations du transhumanisme à travers n’importe quel filtre politique”

Entretien avec Marc Roux, porte-parole de “Technoprog”, l’Association française transhumaniste.

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Dans le numéro 1 de notre revue, nous avons longuement évoqué, dans la quatrième partie, les aspects politiques du mouvement transhumaniste. Nous vous avons notamment proposé un entretien avec Mathieu Gosselin, porte-parole du TPUK, le Parti transhumaniste britannique. D’autres intervenants tels que Natacha Polony, Alain Damasio, Charles Stross, Raphaël Granier de Cassagnac et Mathieu Terence venaient alors contrebalancer cette approche avec des points de vue critiques, participant à une pluralité de visions sur le contenu et les conséquences de cette philosophie. Sur notre site internet, le débat se poursuit.

Au cours des café-débats et via les réseaux sociaux, de nombreux lecteurs et nombreuses lectrices nous ont demandé ce qu’il en est au sujet de la place du transhumanisme en France, chose assez peu abordée dans l’enquête. Il s’avère que, oui, il existe bel et bien une organisation transhumaniste dans l’hexagone : l’Association Française Transhumaniste, ou “Technoprog”. Dans l’interview qui va suivre, Marc Roux, porte-parole, nous en explique les particularités.

Quelle est la vision du transhumanisme défendue par Technoprog ?

Dans la nébuleuse transhumaniste, l’AFT se distingue parce qu’elle met au premier plan les questions sanitaires, environnementales et sociales. Association française transhumaniste, Technoprog se revendique entièrement comme transhumaniste, mais, comme l’indique son nom, elle se rattache plus particulièrement au courant que nous nommons « technoprogressiste ». Ce qui ne signifie pas qu’elle souhaite le progrès technique à tout prix mais qu’elle rappelle que nous devons nous appuyer aussi sur la technique si nous voulons aller vers un progrès qui n’a de sens que lorsqu’il est un progrès humain.

En quoi se distingue-t-elle éventuellement des autres approches transhumanistes ?

La pensée transhumaniste est perpendiculaire à la pensée socio-politique traditionnelle. Ceci signifie que vous pouvez trouver des interprétations du transhumanisme à travers n’importe quel filtre politique. Les progressistes, par définition, rejettent les interprétations conservatrices et d’extrême-droite, mais ils se différencient également du courant libertarien qui a sans doute influencé le mouvement à ses débuts. Plus concrètement, ils estiment que notre évolution transhumaniste devra être régulée, qu’elle devra respecter la solidarité sociale, et que, pour cela, un investissement important des institutions publiques est déjà nécessaire.

Le transhumanisme est-il différent de l’eugénisme, l’une des grandes inquiétudes souvent évoquées concernant ce mouvement ?

La différence principale réside peut-être dans le fait que le mouvement transhumaniste démocratique contemporain trouve l’une de ses valeurs centrales dans la liberté individuelle de disposer de son corps. Il n’y a donc aucune visée globalisante, aucune prétention à dire par avance si une évolution biologique donnée serait valable pour tout le monde. Il n’y a pas de politique transhumaniste prévoyant un programme eugéniste. Par exemple, des pratiques totalitaires se référant au transhumanisme entreraient en contradiction complète avec les valeurs affirmées par les promoteurs du mouvement international depuis sa fondation. L’objectif n’est pas d’abord d’améliorer l’espèce humaine dans son ensemble mais d’élargir le champ des possibles et les choix accessibles pour le plus grand nombre.

Quels sont selon vous les enjeux sociaux et politiques que pose le transhumanisme ? Quel modèle de société ce mouvement peut-il apporter ?

Le transhumanisme n’est d’abord que la traduction de la prise de conscience que nous sommes maintenant en mesure d’orienter délibérément notre évolution biologique, individuellement et collectivement. Il n’est pas porteur d’un projet de société particulier a priori. Ce sont des choix politiques qui nous orienteront sur l’une ou l’autre des perspectives qu’il ouvre.

Cela dit, s’appuyant sur des technologies susceptibles de bouleverser nos sociétés, il pose des questions existentielles, et parfois vertigineuses. Il est difficile de toutes les énumérer. Je ne vais en citer que quelques unes et n’en développer brièvement que trois :

  • Ces technologies seront-elles accessibles à tous ? Au plus grand nombre, ou seront-elles réservées à quelques uns ? Les technoprogressistes souhaitent rendre possible leur accès à tous ceux qui le souhaiteront. Comment y parvenir ? Cela serait-il envisageable d’emblée ou progressivement ? À quelle vitesse ? etc.
  • Tous les transhumanistes considèrent comme souhaitable un allongement considérable de la durée de vie en bonne santé, une victoire même sur la maladie et le vieillissement (ou amortalité), voire la possibilité d’un rajeunissement. Une telle évolution devrait avoir pour conséquence à long terme une baisse généralisée de la démographie mondiale ainsi qu’une baisse de la part des plus jeunes en âge dans la population. Ce mouvement démographique poursuivrait celui déjà engagé dans les pays les plus industrialisés depuis plus d’un siècle. Il aurait pour effet un renouvellement des génération encore plus lent. Les conséquence sociales et politiques d’une telle évolution pourraient être aussi nombreuses et importantes que toutes celles qui ont eu lieu aux XIXe et XXe siècle, alors que nos populations voyaient leur espérance de vie à la naissance être multipliée par trois et la part des jeunes passer de 50% à 25%.
  • Notre rapport à la procréation devrait être considérablement modifié. Parallèlement à la procréation sexuée essentiellement aléatoire, des techniques d’assistance sont en train d’être développées qui pourraient déboucher sur un processus qui relèverait davantage de la création, non sexuée, au cours duquel la part du hasard serait progressivement atténuée. Dans ce contexte, le concept de famille pourrait être entièrement déconnecté de celui de relation sexuelle ou de couple. Par ailleurs, les choix et la responsabilité des futurs parents et des institutions médicales s’exerceraient dès les premiers instants de la vie embryonnaire, voire même auparavant, au niveau des gamètes.
  • Je n’ai pas le temps d’approfondir davantage ici, mais nous pouvons également parler : d’un bouleversement de notre rapport au travail et à l’Éducation ; d’une évolution du rapport entre les genres ; d’une évolution du rapport aux animaux ; au-delà encore, pour quoi pas de la reconnaissance de certaines IAG comme personnes dignes de droit, ou de la place de futurs cyborgs, ce qui provoquerait un décentrage de l’humain et du biologique comme seul vecteur de pensée consciente digne d’être « sacralisée ».

Se dire que cette liste n’est pas exhaustive donne une idée de l’ampleur du vertige…

Natasha Vita-More (pionnière du mouvement, ndlr) nous a affirmé que le transhumanisme est très peu présent en France, ou alors pour être critiqué, car cette philosophie est assez incompatible avec l’histoire intellectuelle du pays. Êtes-vous d’accord ? Quelle est la place du transhumanisme en France aujourd’hui ?

Le nombre relatif des membres électeurs et les taux de participation aux élections internes de l’association transhumaniste française n’ont aujourd’hui rien a envier à ce qui se passe aux États-Unis. Les deux restent en fait modestes. Ce qui paraît différent, c’est la possibilité d’afficher ouvertement des positions transhumanistes. Si vous vous situez au coeur de la Silicon Valley, cela semble une évidence. Dans les couloirs d’une université française, cela peut sérieusement mettre à mal votre position ou votre carrière. Mais la faute en revient à la présentation caricaturale et fantasmatique du transhumanisme qui est encore trop souvent véhiculée par de nombreux médias et par les critiques « avec vue » qui sont majoritairement des opposants au mouvement.

Mon sentiment est que nous nous trouvons au milieu d’une double contradiction. D’une part nos scientifiques se défendent de s’inscrire dans une logique transhumaniste, mais ils participent à l’élite mondiale de ceux qui développent l’Intelligence Artificielle, la biologie de synthèse, le génie génétique, les prothèses et les implants permettant une interface humain-machine, la robotique, etc. Or, toutes ces technologies renforcent la logique transhumaniste. D’autre part, si le discours médiatique est encore dominé par un courant critique bioconservateur, diverses études sociologiques et enquêtes d’opinion tendent à montrer que la population française serait majoritairement en faveur de plusieurs propositions transhumanistes essentielles. À commencer par l’idée que la médecine ne doit plus seulement réparer mais qu’elle doit aussi aider ceux des bien-portants qui le souhaitent à améliorer leur condition biologique. (Note : Voyez le rapport du CREDOC de 2014 sur les nouvelles technologies, l’enquête de La Croix de 2017, ou celle de OpinionWay pour Swiss Assurances.) Enfin, il me semble que la compréhension réelle et la validation des arguments du transhumanisme sont en progression au sein des cercles dirigeants.

Pour conclure, je rappellerais la théorie de Schopenhauer sur la manière dont nous accueillons les idées émergentes : d’abord on les ignore, ensuite on les combats avec la dernière énergie, enfin on prétend qu’on les a toujours défendues. Et Schopenhauer n’appartient pas à l’histoire intellectuelle française.



ANTICIPATION, LA REVUE. Découvrez notre enquête sur le transhumanisme : “la science va-t-elle modifier l’espèce ?” dans notre numéro 1 disponible en librairies.

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Anticipation N°3 : voici les entretiens au sommaire

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Que peuvent nous dire les nouveaux mondes qui émergent après la fin du monde ? Cette question remet d’emblée en question la notion même de fin, portant le focus sur l’« après ». Que pouvons-nous trouver en regardant au-delà du chaos apparent de la fiction post-apocalyptique, pour y chercher les formes de renouveau et d’espoir qu’elle dépeint, les messages qu’elle adresse à notre présent ? Nous avons pris ces œuvres comme un laboratoire de pensée, tout en allant chercher aussi des clés dans la science et l’histoire. Comment l’humanité perçoit-elle son avenir et son champ des possibles ?

Voici le sommaire de ce numéro 3, avec les grands entretiens qui structureront cette nouvelle enquête dans les futurs possibles.


Partie 1 : « dépasser la fin du monde »

Les récits post-apocalyptiques ne sont pas tant des récits de la fin ni de l’apocalypse, que des récits de l’après. Des récits d’un nouveau monde naissant. Comment se distinguent-ils d’une approche purement apocalyptique ? Introduction avec Elisabeth Vonarburg, écrivaine.

LES ENTRETIENS :

  • Yannick Rumpala

Chercheur spécialisé du thème “science-fiction et politique”. Quel est l’imaginaire véhiculé par les récits post-apocalyptiques ?

  • Natacha Vas-Deyres

Chercheuse spécialiste de la science-fiction française. Quelles sont les particularités du post-apo français ? Et si ces récits étaient finalement proches du genre utopique ?

  • Ketty Steward

Romancière et poétesse française. » Et si les débats sur la fin du monde étaient finalement une occasion de changer d’angle et d’échelle ? Et si c’était aussi un tel changement de perspective que pouvait apporter la SF avec les mondes post-apocalyptiques ?

  • Manouk Borzakian

Géographe, auteur de Géographie Zombie. Il évoque le cinéma post-apocalyptique — de La Route à Mad Max — à travers la perception moderne de nos habitats et de notre rapport aux autres.

  • Brendan McCarthy

Coscénariste de Mad Max Fury Road. Des coulisses du film et à sa portée, comment ce 4e opus renouvelle la licence Mad Max avec des thématiques écologistes, féministes, et davantage d’espoir.

Partie 2 : « notre humanité mise à l’épreuve »

En retirant toutes les structures qui forment notre société, les mondes post-apocalyptiques mettent l’humanité à nu — et donc à l’épreuve, livrant un miroir critique de notre époque. Introduction avec Elisabeth Vonarburg, écrivaine, Jannick Tai Mosholt, showrunner de The Rain, série post-apocalyptique danoise sur Netflix.

LES ENTRETIENS :

  • Mamytwink

Youtubeur, explorateur urbain, réalisateur d’un documentaire sur Tchernobyl. Il nous plonge dans sa visite de ce lieu post-apocalyptique bien réel.

  • Peng Shepherd

Romancière américaine (Le Livre de M). Comment nos liens humains pourraient-ils substituer si la société s’effondre ?

  • John Gonzalez

Directeur narratif des jeux vidéo Horizon Zero Dawn, Horizon Forbidden West. Il évoque les coulisses d’écriture de ces jeux, qui s’inscrivent dans un univers post-apocalyptique paradoxalement « optimiste et verdoyant ». 

  • Pia Guerra

Cocréatrice et dessinatrice de la BD Y le dernier homme, dont l’adaptation en série TV est prévue pour septembre 2021. Elle nous explique pourquoi, derrière son genre post-apo, ce comicbook est surtout un récit de renouveau.

PARTIE 3 : « survivre ne suffit pas »

De Station Eleven à The Last of Us, les œuvres post-apo ne décrivent pas seulement des humains qui survivent, mais des humains qui gardent de l’espoir, des envies, des passions. Introduction avec Jannick Tai Mosholt, showrunner de la série post-apocalyptique The Rain sur Netflix.

LES ENTRETIENS :

  • Alexandria Neonakis

Character artist du jeu vidéo The Last of Us Part II. Comment représenter l’humanité dans environnement post-apocalyptique ?

  • Pat Murphy

Romancière américaine (La Ville peu de temps après). Et si les contextes post-apocalyptiques étaient l’occasion de proposer de nouvelles utopies, de nouvelles formes de société, par exemple davantage basées sur les arts ? 

  • Estelle Faye

Romancière française (Un éclat de givre / Un reflet de Lune). L’écrivaine nous parle de son approche du genre post-apo, et pourquoi les arts peuvent être ce qui noue relie, ce qui perdure à toute épreuve même après un effondrement de société.

PARTIE 4 : un rapport à la nature bouleversé

Les œuvres post-apo retirent toutes les structures de la société, et, ce faisant, changent totalement notre rapport à la nature. Les discours sur l’effondrement portent eux aussi une approche différente de la nature. Comment interpréter ces nouveaux récits liés à notre environnement ? Qu’est-ce que la pandémie nous montre d’ailleurs de notre rapport actuel à la nature ? Introduction avec Sara Lewis, biologiste spécialiste de la conservation des lucioles, et Jannick Tai Mosholt, showrunner de The Rain.

LES ENTRETIENS :

  • Monika Kaup

Chercheuse en littérature américaine. Elle évoque les liens entre post-apo contemporain et l’écologie.

  • Francesca Cagnacci

Biologiste. Elle est la cocréatrice du concept scientifique d’Anthropause, désignant l’impact sur la faune de la pause des activités humaines pendant la pandémie Covid-19.

  • Stéphanie Margeth

Survivaliste.

  • Gauthier Chapelle

Cofondateur du concept de collapsologie, ingénieur agronome : il milite pour que l’entraide soit une « autre loi de la jungle », comme base d’une nouvelle société.

PARTIE 5 : « la continuité des mondes »

Des « fins du monde » ont déjà eu lieu dans l’histoire humaine, et les théories de l’effondrement ne parlent pas toujours d’un effondrement brutal, soudain, sans lendemains. Le concept même de « fin du monde » a-t-il donc un sens ? Certaines crises actuelles sont-elles des fins du monde à des échelles individuelles, collectives ? Introduction avec Patricia McAnany, historienne spécialiste de la civilisation Maya et de sa disparition.

LES ENTRETIENS :

  • Pablo Servigne

Cofondateur du concept de collapsologie.

  • Marie Bécue

Avocate, administratrice à Médecins du Monde, experte en protection des droits humains.

  • Alice Baillat

Spécialiste des migrations climatiques au sein de la Division Migration, Environnement et Changement Climatique de l’OIM.

  • Jean-Sébastien Steyer

Paléontologue. L’histoire de la planète est-elle une succession de mondes post-apocalyptiques ? La notion d’effondrement a-t-elle vraiment du sens sur le plan scientifique à de telles échelles ?

PARTIE 6 : qu’implique le renouveau ? 

Partie conclusive, en compagnie de Mary Robinette Kowal, romancière américaine.

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Anticipation sera au Salon du Livre de Paris 2020

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En 2019 puis en 2018, nous avons eu le plaisir de vous rencontrer aux Utopiales, le festival international de science-fiction de Nantes. Puis, début 2020, vous avez été nombreux et nombreuses à venir à notre événement dédié à des « contes de l’odyssée spatiale », à Rennes. Nous voulons multiplier ces rencontres avec vous partout en France, à différentes occasions. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous annoncer notre présence au Salon du Livre de Paris, sur l’invitation de Books on Demand, pour une séance de dédicace.

La rencontre aura lieu le dimanche 22 mars 2020, de 16h à 18h, sur le stand P33 tenu par Books on Demand. Des exemplaires du numéro 1 et du numéro 2 seront disponibles. Nous mettrons à jour ce post si nous participons à d’autres événements sur place.

Le salon du Livre de Paris se tient comme chaque année à Paris Porte de Versailles Pavillon 1, Boulevard Victor, dans le 15e arrondissement. L’événement a lieu du vendredi 20 au 23 mars. L’entrée se fait par billetterie, il vaut mieux donc s’y prendre à l’avance et réserver les billets à l’avance. Cette année, l’Inde est à l’honneur.

Si vous souhaitez nous rencontrer à cette occasion mais en dehors du créneau de la séance de dédicace, par exemple pour une interview, n’hésitez pas à nous contacter quelques temps en amont.

Illustration de couverture : Livre Paris 2019

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