“Ceux qui méconnaissent les erreurs du futur sont condamnés à les commettre” : c’est par cette citation de Joseph D. Miller que l’écrivain américain David Brin introduit son roman “Existence“, paru en 2016, pour sa version française, chez Bragelonne.
Cet ouvrage ne nous emmène pas dans une épopée galactique lointaine, mais dans le futur de notre propre planète. La fresque est inquiétante : surveillance généralisée de tous par tous, partout, tout le temps. Le moindre événement s’attire aussitôt dix millions de regards virtuels. Le transhumanisme atteint un stade où les technologies sont entièrement intégrées dans nos vies et nos corps, puisque la plupart des êtres humains sont “augmentés”. Par exemple, chaque citoyen est équipé de lunettes en réalité augmentée. En parallèle, l’état de la planète est catastrophique : le niveau des océans a dramatiquement augmenté, le volcan de Yellowstone s’est réveillé ; le monde est divisé en castes sociales.
Dans ce contexte, nous suivons le trajet de Gerald Livingstone, un éboueur spatial chargé de récupérer les déchets orbitaux. Sa routine va être perturbée le jour où il récupère un étrange cristal. Peu de temps après, tous les réseaux bruissent à l’idée que l’Humanité a peut-être récupéré un artefact extra-terrestre, une potentielle bouteille à la mer. Pendant la première partie du roman, David Brin s’intéresse moins à qui sont ces aliens qu’à la réaction de l’Humanité face à l’idée d’un contact extraterrestre. Il prend le temps de décrire une sorte de panique mondiale, caractérisée par des réactions très plurielles, parfois violentes, parfois pacifiques.
Un manuel d’Histoire sur le futur
Ce scénario axé sur le contact extraterrestre a principalement pour objectif de discuter ce que l’on appelle “le paradoxe de Fermi” : si les aliens existaient, alors pourquoi ne nous auraient-ils pas déjà contacté ? Pour répondre à cette question paradoxale, les astrophysiciens ont construit différents scénarios possibles, comme par exemple l’idée qu’une civilisation technologique similaire à la nôtre a peu de chances d’apparaître, si bien que cela ne se serait produit qu’une seule fois dans notre galaxie ; ou bien que les extraterrestres existent bel et bien, mais que la communication et le voyage interstellaire sont impossibles à cause de facteurs culturels ou matériels.
Derrière ces questionnements scientifiques, ce qui caractérise l’ouvrage de David Brin est qu’il se traduit en une forme de “manuel d’Histoire sur le futur”. Finalement, les ressorts scénaristiques et les questions soulevées sont surtout un prétexte pour décrire l’avenir de la Terre et de sa place dans l’Univers. “Existence” tombe rapidement dans la futurologie, décrivant avec précision les détails de cette société humaine future, dans des aspects très concrets tels que la politique, les relations sociales, les médias, les sciences.
L’immersion est d’autant plus forte que chaque chapitre se termine par une sorte de “module” à portée philosophique : des extraits d’un pamphlet écrit par un personnage ; des articles et interviews fictionnelles tout droit tirées des médias de 2050 ; ou parfois simplement des réflexions de l’auteur, mettant en perspective le passé, le présent, et le futur imaginaire de son roman. Ces particularités font de “Existence” un ouvrage qui va bien au-delà du divertissement.
De l’optimisme pour l’humanité
Il faut aussi soulever une caractéristique parfois trop rare : l’optimisme. Ce qualificatif peut paraître étrange compte tenu de certains pans du scénario dont nous avons parlé précédemment, mais en réalité David Brin nous montre qu’il est possible qu’un tel contexte ne soit pas définitif, ne soit pas un point de non-retour. Le message est même que, non, l’évolution ne nous mènera pas forcément à une “fin du monde” dystopique, mais simplement… à une nouvelle forme d’Humanité. L’entropie humaine, cette façon d’aller toujours vers ce qu’il y a de pire, peut être contrebalancée par la sagesse, laquelle n’a jamais quitté le monde au XXIe siècle – contrairement à ce qui est parfois mis en avant. Par exemple, concernant les intelligences artificielles, la tendance est généralement au catastrophisme. David Brin se veut plus positif :
“Pour ce qui est de créer des êtres nouveaux, plus intelligents que nous et qui nous restent fidèles, l’humanité fait ça tous les jours : ce sont nos enfants ! Dans ce cas, peut-être devrions-nous plonger à bras le corps dans cette nouvelle ère en poussant nos machines vers l’Humanité. Laissons-les passer tous les tests imaginables et gagner notre confiance. Qu’ils aillent à l’école, qu’elles deviennent fonctionnaires. Que les plus douées surveillent les autres pour le bien-être de la civilisation qui les accueille, et ce jusqu’à ce qu’elles aussi, comme nos enfants, voient surgir une nouvelle génération encore plus brillante.”
Quelques pages plus loin, David Brin montre le même optimisme vis-à-vis du transhumanisme, de la fusion entre l’être humain et la technologie :
“La fiction a toujours abordé le thème du cyborg sous un angle pessimiste, celui d’une somme batarde valant bien moins que ses parties. Mais cette relation pourrait être notre seule chance de ne pas sortir du jeu. D’ailleurs, pourquoi envisager le pire ? Imaginons au contraire y gagner en compétences, sur la rapidité de calcul par exemple, sans perdre ce que nous chérissons de notre humanité : la chair, l’esthétique, l’intuition, l’individualité, l’excentricité, et même l’amour.”
L’optimisme de l’auteur n’est pas exclusif d’un certain réalisme. Il affirme que nous disposons aujourd’hui de mille moyens de nous autodétruire : nous sommes certes puissants, mais sommes-nous si différents de nos aïeux ? Si une catastrophe arrive, ne sera-t-elle pas causée par notre indubitable arrogance ? Ne conduira-t-elle pas encore et toujours “aux mêmes lamentations sur les ruines de nos espérances” ?
Finalement, l’objectif de cette fresque d’anticipation de David Brin, nous montre que tout ce qui nous fait peur à propos de notre futur, il ne tient qu’à nous d’en faire des choses bonnes et non dévastatrices :
“La bonne nouvelle : nous ne sommes pas programmés pour nous auto-détruire (…) La mauvaise nouvelle : c’est la même, nous avons le choix.”
Ce roman monumental de presque 700 pages comble ses quelques longueurs avec une vision passionnante du futur, riche en détails. Une lecture dont on ressort avec des souvenirs marqués, et des perspectives renouvelées sur l’avenir de notre civilisation.